Anopholes quadriannulatus, tellement rassasié de son repas sanguin qu'une gouttelette de sang excédentaire a été extrudée de l'extrémité distale de l'abdomen. Membre du complexe d'espèces A. gambiae, A. quadriannulatus est un vecteur connu du paludisme.Crédit : CDC/ James Gathany

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À Dielmo, sur les rives du fleuve Nema au Sénégal, l'enfance était autrefois marquée par l'emprise implacable du paludisme.

Près de la frontière gambienne et à 280 km au sud-est de Dakar, la capitale sénégalaise, les villageois de Dielmo cultivent généralement le millet, les arachides, les mangues et les noix de cajou, et s'occupent du bétail. La plupart d'entre eux vivent dans les maisons aux murs de boue et au toit de chaume. Les enfants ont subi en moyenne 23 épisodes de fièvre avant leur quatrième année, et 43 avant leur dixième anniversaire.

Cependant, grâce à des interventions à grande échelle, notamment des moustiquaires imprégnées d'insecticide de longue durée, des médicaments antipaludiques améliorés et des tests de diagnostic rapide, les enfants de Dielmo sont aujourd'hui presque débarrassés du paludisme.

La recherche et ses retombées éventuellesLe revirement de la situation remonte à 1989, lorsque Dielmo a participé à un projet de recherche à long terme. À cette époque, tous les villageois avaient souffert du paludisme à un moment ou à un autre et environ 95 % des enfants étaient infectés par des moustiques présents tout au long de l'année.

Un bureau de recherche et un dispensaire ont été construits en 1990. Pendant les 25 premières années, les agents de santé et les scientifiques ont suivi quotidiennement l'état de santé des villageois, notant tous les épisodes de fièvre et effectuant régulièrement les tests cliniques, parasitologiques et immunologiques. Ils ont vérifié la présence de parasites quatre fois par an et surveillé la transmission du paludisme tous les mois en collectant des moustiques pendant la nuit.

Une étude publiée dans eClinical Medicine, la plus récente de plus de 200 articles présentant les données sur Dielmo, décrit la vie des jeunes du village avant les interventions. Quatre (3,6 %) des 111 enfants de Dielmo suivis pendant plus d'une décennie ont souffert de 100 épisodes de paludisme avant leur 15e anniversaire, et l'un d'entre eux a connu 110 épisodes de ce type avant l'âge de 24 ans.

"Jusqu'en 2008, quand les moustiquaires imprégnées d'insecticide d'action à longue durée (MIILD) étaient déployées, notre seule intervention consistait à fournir un traitement rapide et efficace pour les crises cliniques de paludisme et d'autres maladies", explique Jean-François Trape, chef de projet au laboratoire de malariologie et de zoologie médicale de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) à Dakar.

Il explique que le traitement du paludisme a changé au fil du temps en réponse à la résistance croissante aux médicaments, mais que depuis 2006, l'artémisinine et l'amodiaquine sont les approches de première ligne. Les moustiquaires imprégnées d'insecticide ont été introduites en 2008.

Par 2015, les efforts ont montré du succès . Lorsqu'on lui demande de décrire la vie des enfants du village aujourd'hui par rapport aux années 1990, Trape répond : "Il n’y a pas de paludisme. Nous avons construit une école dans le village en 1991. Avant cela, personne n'allait à l'école et seuls deux adultes savaient lire et écrire. Aujourd'hui, tous les enfants savent lire et écrire. Plusieurs de ceux qui sont nés dans les premières années du projet sont aujourd'hui titulaires d'un diplôme universitaire".

Le projet Dielmo se poursuit grâce au financement de l'IRD en France et de l'Institut Pasteur de Dakar au Sénégal, en se concentrant désormais davantage sur les maladies autres que le paludisme dont les 400 villageois pourraient souffrir.

S’adressant à l'avenir

Trape et ses coauteurs font appellent à plus d’engagement et du financement nationaux et internationaux pour intensifier les interventions de contrôle et de prévention du paludisme. Pour Trape, les données à long terme de Dielmo restent un rappel brutal que, pour beaucoup, l'enfance peut être "une histoire sans fin d'épisodes de fièvre paludéenne".

Selon le rapport 2023 du Groupe inter-agences de L’Organisation des nations unies pour l'estimation de la mortalité infantile (UN IGME), au Sénégal, le paludisme a causé 3 % de tous les décès d'enfants de moins de cinq ans, alors que dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, comme le Niger et le Bénin, ce pourcentage s'élève à 25 %.

Un article publié dans l'Elite Journal of Nursing and Health Sciences montre que le paludisme augmente le risque de naissances prématurées, d'insuffisance pondérale à la naissance et de décès de nouveau-nés.

Eshetu Engeda, de l'Université de Gondar, en Éthiopie, qui a dirigé une étude exploratoire sur le handicap et la réadaptation en 2023, a lancé un appel aux responsables politiques à mieux financer les services de dépistage du handicap et de réadaptation dans les régions où le paludisme est endémique.

Vaccins

Selon DeAnna Friedman-Klabanoff, du Centre for Vaccine Development and Global Health de l'école de médecine de l'Université du Maryland, le déploiement des vaccins RTS,S/AS01E et R21/Matrix-M récemment approuvés dans 15 pays africains pour les enfants de plus de cinq mois sera décisif dans la lutte contre le paludisme et renforcera l'optimisme quant à la possibilité d'éradiquer cette maladie.

Dans Current Opinions in Pediatrics Friedman-Klabanoff et ses collègues au Ghana, ont résumé les développements récents dans le domaine de la prévention du paludisme chez les enfants, . "À mesure que nous progressons, il est essentiel de surveiller en permanence l'efficacité de ces vaccins et d'adapter nos stratégies en réponse aux nouveaux défis et aux changements épidémiologiques dans les cas de paludisme et les décès", ajoute-t-elle.

Le médecin-scientifique Floriano Amimo, de la faculté de médecine de l'université Eduardo Mondlane, au Mozambique, estime que les vaccins pourraient "changer la donne en améliorant la survie et la santé des enfants sur le continent". Cela est d'autant plus important que de nombreuses menaces complexes pèsent sur la réalisation des objectifs mondiaux, notamment l'augmentation de la résistance aux médicaments antipaludiques, des catastrophes plus fréquentes et plus intenses ainsi que d'autres chocs. Ces facteurs perturbent la lutte contre les maladies", note-t-il dans la revue BMC Medicine.

M. Amimo craint toutefois que ces efforts ne soient entravés par "les difficultés chroniques qui réduisent traditionnellement la valeur des interventions et des programmes de santé publique et qui ont compromis le contrôle et l'élimination d'autres maladies évitables par la vaccination en Afrique".

Il s'agit de questions telles que le coût de livraison des vaccins, le cadre d'attribution des vaccins et la dépendance excessive des gouvernements à l'égard des organismes de financement pour payer les vaccins, sans allouer suffisamment d'argent aux soins de santé dans leur budget national.

Si les problèmes fondamentaux peuvent être résolus, du progrès est possibles. Sinon, l'Afrique restera à la traîne dans l'élimination du paludisme", déclare M. Amimo, qui estime qu'un programme d'évaluation continental est essentiel pour surmonter les obstacles spécifiques à certaines maladies et au niveau de l’ensemble du système.